Opinion|Laurent Crépeau
Qu’on l’admette ou non,
chacun de nous est encore en contemplation face à la barbarie. Alors que j’écris
ces lignes, ces événements dont je n’ai point besoin de nommer l’essence nous
communiquent toujours cette angoisse; cette langueur itérée par les médias et
propagée massivement sur Facebook et Twitter. Curieusement, à l’ère de
l’abrogation des frontières et de l’universalité du dialogue entre les
populations, le monde reste toujours aussi fragmenté qu’il ne l’était. Nous
sommes invariablement conscients de la vulgarité des usages qui ne sont que
vanités et du caractère antinomique de nos actions. Au fond, nous savons tous
qu’une note laissée sur un média social n’est rien pour parler de ce qui est
arrivé. Or, pour bien d’entre nous, outre la pensée, il n’y a d’autre exutoire
que celui-ci. Ainsi, nous sommes forcés de concéder qu’en bout de ligne, nous
ne savons pas comment agir face à ce genre d’événement; qu’à présent, une
torpeur irrigue notre pensée.
Que doit-on retenir du
discours populaire? Vendredi dernier, nous étions sidérés. La soirée fut vite
embaumée par la connaissance des événements. Suite à cela est venue l’oraison aux
martyrs. Ceux se sentant concernés ont écrit sur le web, ont partagé leur
sidération, ont appelé à une conscientisation et à une prompte mise en action.
Au fil des jours, les #prayforparis ont rapidement conquis l’internet et les
photos de profil arboraient l’étendard français bien ostensible. Bien sûr, il
fut rapidement noté que la France n’était pas seule victime cette semaine.
Beyrouth aussi pleurait ses morts; Bagdad aussi entrait en pâmoison. Des
détracteurs bien-pensants déclarèrent l’hypocrisie dans le drapeau français et en
rejetèrent le symbole, l’accusant de partialité indolente. Ironiquement,
l’attention passa de la solennelle méditation à l’algarade futile. Ainsi, une
journée après le drame, le devoir de souvenir était comme supplanté par la
nécessité de se positionner sur la portée de son amertume. Que cherchons-nous
dans ces bagatelles?
Après revendication des
attentats, c’est sur Daesh que l’attention se porta. La polémique alors vers
une possible intervention en Syrie ou une éventuelle limitation du flux de
réfugiés arrivant dans les pays occidentaux. Certains dirent qu’il faut
intervenir, d’autres que d’intervenir ne ferait que perturber la région encore
plus. Quant aux réfugiés, 25 000 d’ici 2016 constituerait un objectif trop
mirobolant. Ainsi, les populations sont divisées. Tel qu’un récent sondage CROP
l’a mis en lumière, la question des migrants divise, plus de 20% se disent
incertains. Le débat auquel nous faisons face divise d’autant plus qu’il nous
force à confronter une possible dissension entre actions et principes. Une
dichotomie s’élève entre les principes humanistes et ce qui pourrait être vu
comme la protection de l’individu.
Or, ces questions ne se
répondent pas sans considération. Il faut des faits pour alimenter la
réflexion, hors, ceux-ci sont si aisément soumis à des distorsions
fallacieuses. Où trouver la vérité à travers des médias biaisés et
sensationnalistes? Et comment interpréter l’information qui nous est transmise?
Ultimement, parmi le peuple,
nous faisons face aux mêmes rhétoriques caractéristiques de chaque débat
post-attentat. Les prolétaires émulent les classes politiques en opposant la
liberté individuelle insoumise à la possibilité de mesures draconiennes
(parfois discriminatoires). Nous avons ces mêmes algarades à chaque fois que
notre sécurité semble être en perdition. Et pourtant, par ces élans zélés vers
une idéologie ou une autre, sommes-nous plus sages?
L’état dans lequel nous nous
trouvons face à la violence insensée et au marasme nous pousse à vouloir agir
quand il y a, sommes toute, très peu que l’on puisse faire, sinon prendre part
à la clameur ou être en contemplation. Peu importe ce que l’on décide de faire,
néanmoins, la psyché collective restera dans un état de torpeur. L’indolence,
en ces instances, n’est pas permissible pour l’individu puisqu’elle
coïnciderait autrement avec un consentement meurtrier. Ainsi, les temps à venir
se montreront critiques. La polémique sera parfois véhémente et nous rendra
possiblement témoins des plus extrêmes tendances des sociétés. Au travers de
cette époque, l’important sera de garder le calme et restreindre la crainte,
car les organisations comme Daesh ne peuvent survivre sans pusillanimité pour
alimenter leur propagande.
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