Column|Jérémie Gaudet
Contrairement à ce que les scientifiques croyaient
jusqu’à ce jour, ce n’est pas d’avoir entamé la cuisson des aliments qui a
façonné le visage de l’homme, mais bien d’avoir commencé à consommer de la
viande crue.
Le
9 mars dernier, des chercheurs de l’Université Harvard aux États-Unis,
Katherine Zink et Daniel Lieberman, ont publié dans la revue Nature une étude inusitée sur le sujet.
Selon
cette dernière, l’introduction de la viande crue dans l’alimentation humaine
aurait eu un impact important sur la structure du faciès de l’homme.
Pour
mieux comprendre ce phénomène, il faut plonger et retourner environ deux
millions d’années dans le passé, à l’ère de l’Homo erectus, le second grand homme préhistorique, qui a suivi
l’australopithèque. C’est à cette époque que nos ancêtres ont, pour la première
fois, commencé à manger de la viande crue sous forme de petit gibier.
Il
était déjà reconnu dans le monde scientifique que cet ajout au régime
alimentaire a entrainé l’augmentation du volume du cerveau humain. Cependant, nul ne se doutait que, du même coup,
une étape importante de l’évolution du visage humain s’enclenchait.
Et,
pourtant, c’est bien à ce moment que le bas de la physionomie de la figure de
l’homme s’est forgé en grande partie. L’Homo
erectus, dont la dentition était très semblable à celle de l’homme moderne,
avait des dents plus petites et des muscles de la mâchoire moins robustes comparativement
à ses prédécesseurs.
Katherine
Zink et Daniel Lieberman ont analysé l’effort musculaire requis pour mastiquer
de la viande crue.
Ils
ont remarqué que ce dernier, lorsqu’il est couplé à l’utilisation d’outils (ce
que l’Homo erectus faisait) pour
travailler la viande avant de la manger, est bien moindre que celui nécessaire
pour mâcher des protéines végétales.
Plus
précisément, ils ont calculé que l’hominidé préhistorique aurait eu besoin de
mastiquer 17% moins souvent et avec 26% moins de force en suivant un régime
alimentaire composé d’un tiers de protéines issues de source animale crue préalablement
concassées à l’aide d’outils de pierre.
Conclusion :
parce que sa mastication demande moins d’effort, la consommation de viande crue
a contribué à l’affaiblissement des capacités masticatoires humaines et, par le
fait même, aux changements morphologiques du visage observables chez l’Homo erectus.
Ces
modifications, qui incluent l’affinement du visage et la diminution de la
taille des dents, auraient, selon l’étude, également contribué à l’amélioration
de la parole et du langage de l’homme.
Toutefois,
sans l’aide d’outils pour marteler la viande avant de la manger, cette
évolution n’aurait pas été possible.
Les
chimpanzés, qui ont des dents physiquement proches de celles de l’homme actuel,
mais qui sont incapables de travailler leur nourriture avant sa consommation, demandent
beaucoup de temps pour mâcher de la viande crue. Ils évitent donc bien souvent de
consommer ce type d’aliment, qui ne pèse généralement que pour 2 à 3% de leur
alimentation totale.
Katherine
Zink relève d’ailleurs qu’un chimpanzé a déjà été observé à mastiquer un singe
de la taille d’un petit chat pendant plus de onze heures !
En
outre, les chercheurs ont aussi établi que la cuisson des aliments n’a
probablement pas joué un rôle important dans cette évolution parce qu’elle est
devenue monnaie courante il y a seulement 500 000 ans, ce qui est bien plus
tard que l’époque de l’introduction de la viande crue dans le menu humain.
L’étude
originale en question : Impact
of Meat and Lower Palaeolithic Food Processing Techniques on Chewing in Humans
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