Chronique | Maggie Léonard
Cela
faisait un bon cinq minutes qu'elle tentait de s'excuser par tous les moyens.
Deux ans après, c'est trop tard pour s’excuser d'avoir provoquer ma cécité. Sa
voix était un ennuyant accompagnement à mon apparente indifférence. Elle dut
finir par s’apercevoir de mon désagrément, car elle décida de changer de
cassette.
-
Au fait, j'ai vu Sacha au parc il y a quelques jours. J'ai pensé que t'étais
là, mais je t'ai pas vu.
-
Au parc?
-
Oui, oui. Peut-être qu'il était avec un ami…
-
Faut que j'y aille. Bye!
Le
parc en question était près de la maison d'Alexia, mais assez loin de la
mienne. Je dirais à environ quarante-cinq minutes à pied. C'était un grand parc
comportant balançoires, glissades et carrés de sable et se terminant par un
boisé. Le genre de petite forêt fréquentée par les amants en quête d'intimité
et redoutée des enfants qui y perdaient leur ballon. C'était la parfaite
cachette pour jouer à cache-cache quand on y restait en lisière, mais aussi la
frousse des parents qui craignaient de ne plus jamais retrouver leur
progéniture. Je me demandais avec qui Sacha avait bien pu y aller et surtout
quand.
J'arrivai
à la maison pile au moment où l'autobus scolaire déposait mon frère devant
l'entrée. Je l'entendis m'appeler et sa petite main se glissa dans la mienne
quand il fut à ma hauteur.
-
J'ai eu huit sur dix dans ma dictée aujourd'hui et madame Carole m'a donné un
autocollant! s'écria-t-il.
-
Wow! Bravo, mon grand! Ça te dirait un
petit tour au parc pour fêter ça?
-
Oui, oui, oui!
Je
lui donnai une banane et des craquelins en lui promettant de compléter sa
collation avec une crème glacée achetée au dépanneur. Nous prîmes nos affaires
et partîmes pour le parc. C'était une magnifique journée. Le soleil chauffait
mon visage et le vent ébouriffait les cheveux de Sacha. Nous marchions main
dans la main en essuyant une fois de temps en temps nos paumes moites sur nos
shorts. Mon cadet me tirait par le bras comme pour me guider même si je
connaissais très bien le chemin. Je savais que cela le rendait fier, s'occuper
de son grand frère.
Le
dessert glacé acheté et déjà bien entamé, nous nous assîmes sur un banc au
parc. Je n'avais pas choisi n'importe quel parc, mais bien celui où Alexia
avait aperçu Sacha. Celui-ci s’abstint de commenter mon choix et préféra
plutôt balancer ses jambes silencieusement. J'attendis qu'il me dise quelque
chose même si je savais qu'il n'en ferait rien. Il était certain qu'il ne
voulait pas se faire punir d'être parti si loin de la maison sans permission.
Je décidai donc de lui raconter une histoire qui, je l’espérais, provoquerait
une confession de sa part.
-
Connais-tu l'histoire du chevalier amputé?
Il
ne pipa mot.
-
Il y a des années de cela vivait un gentil chevalier. Grand, beau et
merveilleusement courageux, il était aimé de tous. Jamais il n'avait perdu
devant un ennemi et jamais il n'était méchant. Il était vif comme l'aigle et
agile comme le chat, il sortait toujours indemne des combats et cela faisait de
lui le meilleur de tous. Un jour, la rumeur courut qu'un ogre écrasait des
maisons de fermiers et arrachait leur récolte comme de la mauvaise herbe. Sans
leur gagne-pain et leur logis, les tristes fermiers et leur famille devenaient
pauvres et malades. Le chevalier ne pouvait laisser une telle injustice
arriver. Il prit donc son courage à deux mains et partit à la rencontre de
l'ogre. Celui-ci était immense et féroce, mais notre preux chevalier avait
confiance qu'il pouvait le battre. La bataille dura des heures et des heures et
c'est en tombant à bout de force que l'ogre fut vaincu. Il était gros et c'est
sa lourdeur qui l'avait trahi, il ne pouvait rien contre la rapidité de son
adversaire. Le chevalier, fier de lui, quitta les lieux du drame sans un regard
vers le perdant. Pourtant, s'il l'avait fait, il aurait peut-être vu la longue
griffe de l'ogre se déployer. Il l'aurait peut-être aussi vu se tendre vers sa
jambe. Mais il était trop tard, la griffe acérée déchira la tendre chair de sa
cuisse. Pour ne pas ternir sa réputation, le chevalier décida de garder sa
blessure secrète. Cependant, sans les soins nécessaires, elle se mit bientôt à
s'infecter. Malheureusement, le chevalier était bien trop orgueilleux pour dire
la vérité et aller chercher l'aide d'un guérisseur. Jour après jour, sa plaie
pourrissait comme une fleur qui se fane. Un soir, une dame trouva le chevalier
appuyé contre un baril, inconscient. La fièvre l'avait consumé jusqu'à le faire
tomber dans les pommes. Un guérisseur et une guérisseuse durent prendre soin du
malade trois nuits et trois jours durant. Ils durent prendre la lourde décision
d'amputer la jambe infectée avant qu'elle ne tue le cachottier. Quand le
chevalier se réveilla, il ne trouva qu'une jambe à son corps. Contrairement à
ce qu'il redoutait, sa réputation ne fut pas entachée par sa blessure et les
villageois continuaient à l'aimer autant. S'il n'avait pas gardé son secret,
le chevalier aurait peut-être encore sa jambe perdue et l'admiration que les
gens avaient à son égard n'aurait pas changé. Il apprit tristement de ses
erreurs, mais il décida qu'à présent, il dirait toujours la vérité.
Je
sentais Sacha s'agiter nerveusement à mes côtés. Il ramena ses jambes sur le
banc et se tourna vers mon oreille. Quand il était nerveux, honteux ou tout
simplement inquiet, Sacha chuchotait ce qu'il avait à nous révéler et c'est
ainsi que je l'entendis souffler :
- Je
voulais aller la voir, elle, pour la chicaner de t'avoir fait du mal, mais...
Et
il éclata en sanglots.
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