Wednesday, April 19, 2017

La nature de l'inspiration

Science  |  Jérémie Gaudet


    La bardane, la plante de laquelle est né le Velcro. 

Imaginez-vous un instant, sans ressources, devant le tuyau fissuré qui a causé un immense dégât d'eau dans votre sous-sol. Si seulement il avait pu se réparer par lui-même, vous n'en seriez pas là!

Voilà qui peut paraitre bien absurde à première vue. Il n'y a rien de tel qu'un tuyau qui se répare seul, rétorquez-vous. Peut-être, mais détrompez-vous si vous croyez que ce ne sera pas bientôt possible. 

Expliquons. Arkema, un groupe français, vient récemment de développer un tout nouveau polymère ayant la surprenante capacité de se recoller s'il est rompu, et ce, sans intervention externe. Pour ce faire, les concepteurs de ce matériau, nommé Reverlink, se sont inspirés de nulle autre que... Dame Nature!

Effectivement, ils se sont basés sur le fait que plusieurs systèmes naturels présents dans notre environnement sont capables de se reconstruire lorsqu'ils sont détruits, voire de se régénérer. C'est précisément sur cette aptitude qu'Arkema a tablé pour créer Reverlink (voir Pour aller plus loin). 

L'idée n'a rien de bête et, surtout, rien de nouveau. Nombre d'inventions et de concepts d'apparence anodine que nous côtoyons quotidiennement ont, eux aussi, été le résultat de scrutations attentives de la nature. 

Vous en connaissez certainement plusieurs exemples, peut-être même sans le savoir. Pensons simplement à la fameuse bande Velcro, qui a été inspirée d'une plante, la bardane, qui forme des fruits à petits crochets s'agrippant sur divers surfaces. 

Les scientifiques ont même donné un nom à ce courant, soit le biomimétisme, lequel est en voie de devenir une science à part entière. 


La science de la copie

Le biomimétisme est défini comme étant un processus qui vise à imiter les structures naturellement présentes dans la biosphère et leur fonctionnement. Il s'agit en quelque sorte de copier les nombreuses et souvent étonnantes propriétés qu'ont les organismes vivants pour créer des produits. 

Mais pourquoi s'inspirer de la nature exactement? Eh bien, le fait est que le biomimétisme comporte deux principaux avantages par rapport aux autres façons que les chercheurs ou les ingénieurs ont pour inspirer leurs créations.

Dans un premier temps, force est de constater que les méthodes de production employées par la nature sont souvent bien plus simples et perfectionnées que les nôtres. Et qui dit plus simple dit souvent moins couteux en énergie et en ressources. Ainsi, imiter la nature nous permet d'améliorer nos processus de production et de réduire l'ampleur de leurs effets souvent néfastes. 

Prenons l'exemple de la moule. Cette dernière construit sa coquille de manière bien désinvolte à seulement 4°C. En revanche, il n'est pas rare que nous ayons recours à des températures avoisinant les 1500°C pour produire des céramiques de composition semblable à la coquille de la moule, quoique moins sophistiquées. Inutile de dire que nos céramiques seraient produites bien plus efficacement si nous plagiions la moule. 

Dans un second temps, les idées pour fabriquer des produits s'obtiennent beaucoup plus facilement en observant la nature. Nul besoin de les imaginer entièrement et de les tester en long et en large: elles sont tout bonnement là, déjà affinées par nombre d'années d'évolution!

Pour comprendre ce second avantage, mettez-vous à la place d'un ingénieur qui doit mettre au point le nez d'un train à grande vitesse. La contrainte majeure: s'assurer que ce dernier puisse conserver sa vitesse à l'entrée des tunnels, où la pression et la densité de l'air peuvent varier. Comment faire?

Regardez tout simplement un animal qui fait face à un problème similaire, le martin-pêcheur, par exemple! En effet, cet oiseau, comme son nom l'indique, doit plonger rapidement dans l'eau, un milieu plus dense que l'air, pour attraper ses proies. Pour y arriver, la forme du bec du martin-pêcheur est telle qu'elle lui permet d'entrer dans l'eau tout en conservant sa vitesse. 

Il ne vous reste maintenant plus qu'à étudier l'allure de ce bec et de la reproduire pour en arriver à façonner le nez de votre train. C'est d'ailleurs précisément ce qu'ont fait les ingénieurs du Shinkansen, le train à grande vitesse japonais... et le tout a bien fonctionné!


Imiter sans exploiter

Il faut toutefois porter une attention particulière au danger qui peut potentiellement survenir en ce qui a trait au biomimétisme, soit l'exploitation directe des structures vivantes. 

L'emploi de peaux de phoque ou de fourrures de vison pour fabriquer des manteaux est un bon exemple d'une application déviante du biomimétisme. 

Le biomimétisme ne doit concerner que l'imitation, la reproduction de compositions et de fonctions qui se retrouvent dans la nature. Il n'a rien à voir avec l'utilisation à proprement parler des systèmes naturels et ne doit surtout pas leur être nocif. 

Si nous respectons cette mince contrainte, qui sait ce que nous pourrons un jour créer grâce au biomimétisme? Nous sera-t-il possible de marcher aux murs tels des geckos ou d'avoir à portée de main un assistant personnel calqué sur la trompe de l'éléphant? 

Avant d'en arriver là, nous pouvons au moins espérer... une réduction du nombre de cas de dégâts d'eau!


Pour aller plus loin

Le polymère Reverlink, conçu par Arkema, mise sur les liaisons hydrogènes, aussi appelées liens H. Celles-ci sont naturellement présentes dans plusieurs procédés naturels. Elles se manifestent d'ailleurs entre les atomes d'hydrogène, d'où leur nom, dans les molécules d'eau. 

Pour les visualiser, il vous suffit de laisser tomber une goutte d'eau sur une surface plane et puis d'en faire tomber une seconde tout près de la première. Qu'arrive-t-il? Eh oui! Les deux gouttes vont certainement se réunir pour ne faire qu'une. Voilà la puissance des liens H, celle-là même qui permet à Reverlink de se recoller sans le moindre effort. 

Il ne reste plus qu'à en faire des tuyaux...


Veuillez noter que ce carnet a été adapté de celui rédigé dans le cadre du cours Français et science III donné par Mme Lajoie. Sa structure a été inspirée des Carnets insolites de Stéphane Durand

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