Wednesday, November 2, 2016

Texture (Partie 3)

Chronique  |  Maggie Léonard

On se croyait comme dans un mauvais film de suspense. La vielle horloge grand-père de Marlène ne faisait que pousser des tic tac à longueur de journée. Ça en devenait presque aliénant quand on était seul, sans aucun autre bruit, dans la maison. Et c'est ce que j'étais cette journée-là, seul. Mes cours de la journée avaient été annulés et je me retrouvais cloîtré entre les murs d'une maison que je ne percevais pas comme mienne.

La sonnerie du téléphone brisa la régularité du carillon. Je décrochai le combiné d'une main molle. La voix de Marlène se fit entendre à l'autre bout du fil.

- Emmett?

- Allô Marlène!

- Je voulais juste t'aviser que je t'ai pris un rendez-vous chez ton psy. Je pensais que ce serait peut-être une bonne idée…

Dès qu'elle dit le mot « psy », mon poil se dressa. Ça faisait cinq mois que je ne l'avais pas vu et je me portais parfaitement bien depuis. Pas qu'il m'avait aidé vraiment, au contraire! Son absence était comme un soulagement à mes maux. Je n'ai jamais compris pourquoi on engageait des gens pour tourner et retourner le poignard dans la plaie.

- Me niaises-tu? Depuis quand les tuteurs ont ces droits-là?! Même ma mère l'aurait pas fait!

Je bouillonnais de colère. Avant de prononcer quelques bêtises, je raccrochai violemment l'appareil. Une grande respiration calma le nœud de rage qui s'était lié dans mon estomac. J'étais atterré. Depuis qu'on nous avait placés chez Marlène, Sacha et moi, elle avait tout fait pour subvenir à nos besoins sans empiéter dans notre jardin secret, notre peine. Je lui en étais extrêmement reconnaissant, en plus que je savais qu'elle brûlait d'envie de nous guérir. Si seulement guérir était le bon mot. La disparition de Sacha l'avait sûrement chamboulée et elle s'était donné enfin le droit d'agir. Le hic, c'est que je n'en voulais pas de son aide. On avait déjà essayé de me consoler, de raccommoder la déchirure que m'avait laissé cette soirée et rien n'avait fonctionné.

Le hurlement du téléphone me tira une seconde fois de mes pensées.

- Oui? répondis-je d'un ton irrité.

- Bonjour, puis-je parler à… Madame Gagnon, s'il vous plaît?

- Elle n'est pas là présentement, c'est à quel sujet?

- Je suis le directeur de l'école de Sacha. Y aurait-il un autre numéro avec lequel je pourrais la joindre?

- Il va bien? Je suis son frère…

- Il s'est battu, il faudrait que quelqu'un vienne le chercher.

Rendu à l'école de Sacha, on m'escorta jusqu'au bureau du directeur où j'entendis mon petit frère sangloter. Il se réfugia dans mes bras en répétant sans cesse que ce n'était pas de sa faute. Je flattai son dos pour le consoler tout en écoutant ce que l'homme avait à me dire.

- Sacha et son camarade de classe, Xavier, se sont battus dans la cours d'école. De tels agissements sont inacceptables dans mon établissement.

- Vous punissez les deux? Qui a commencé la bataille?

Mon petit frère interrompit notre conversation en clamant que Xavier n'arrêtait pas de cracher sur Léo et que c'était la seule façon de faire pour qu'il arrête.

- Attendez, m'enquis-je, vous étiez au courant pour ça?

- Oui, mais…

Je coupai court à ses explications.

- Et vous voulez punir Sacha? Parce qu'il a défendu un autre que vous n’étiez même pas capable de protéger contre un harceleur? C'est de l'intimidation, ça, mon cher monsieur!

J'étais hors de moi. Mon frère avait toujours eu un grand cœur et il n'hésitait pas à faire passer le bien des autres avant le sien. Qu'on le punisse pour ça me dégoûtait.

- Écoutez-moi bien, poursuivis-je, Sacha ne sera pas en suspension, c'est moi qui le ramène à la maison.

J'avais visiblement dérangé l'homme, mais tel un juge, il enchaîna avec une proposition qu'on ne pouvait refuser.

- Je comprends ce que vous me dites. Je vais faire mon enquête sur le comportement de Xavier et je lui donnerai la bonne sanction. Étant donné que Sacha n'a jamais montré de comportements agressifs auparavant, je consens à le laisser partir sans réprimande. En échange, je demanderai qu'il rédige une lettre d'excuse à Xavier.

Je sentis Sacha hocher discrètement la tête contre mon flanc. Je remerciai le directeur pour son indulgence et Sacha et moi partîmes vers la maison. 

Sur le chemin du retour, Sacha m'expliqua que ce n'était pas la première fois qu'il voyait le petit Léo se faire persécuter par son intimidateur. Je sentais la passion dans sa voix. Cette même passion qu'a un avocat à défendre son client. Sacha voulait que tout le monde soit heureux. Mais ce qu'il désirait plus que tout, c'est que justice soit rendue. Je profitai de ce moment de confidence pour lui demander pour la centième fois où il avait été pendant les deux jours de sa disparition. Sans perdre la flamme passionnelle qui brillait dans ses yeux, il me révéla que c'était pour la punir, Elle. Parce qu'Elle m'avait fait du mal.

C'était la première fois qu'il livrait une information sur son inquiétante absence et c'en était déjà une de trop.

***


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