Chronique | Maggie Léonard
On
se croyait comme dans un mauvais film de suspense. La vielle horloge grand-père
de Marlène ne faisait que pousser des tic tac à longueur de journée. Ça
en devenait presque aliénant quand on était seul, sans aucun autre bruit, dans
la maison. Et c'est ce que j'étais cette journée-là, seul. Mes cours de la
journée avaient été annulés et je me retrouvais cloîtré entre les murs d'une
maison que je ne percevais pas comme mienne.
La
sonnerie du téléphone brisa la régularité du carillon. Je décrochai le combiné
d'une main molle. La voix de Marlène se fit entendre à l'autre bout du fil.
- Emmett?
-
Allô Marlène!
- Je
voulais juste t'aviser que je t'ai pris un rendez-vous chez ton psy. Je pensais
que ce serait peut-être une bonne idée…
Dès
qu'elle dit le mot « psy », mon poil se dressa. Ça faisait cinq mois
que je ne l'avais pas vu et je me portais parfaitement bien depuis. Pas qu'il m'avait
aidé vraiment, au contraire! Son absence était comme un soulagement à mes maux.
Je n'ai jamais compris pourquoi on engageait des gens pour tourner et retourner
le poignard dans la plaie.
-
Me niaises-tu? Depuis quand les tuteurs ont ces droits-là?! Même ma mère
l'aurait pas fait!
Je
bouillonnais de colère. Avant de prononcer quelques bêtises, je raccrochai
violemment l'appareil. Une grande respiration calma le nœud de rage qui s'était
lié dans mon estomac. J'étais atterré. Depuis qu'on nous avait placés chez
Marlène, Sacha et moi, elle avait tout fait pour subvenir à nos besoins sans
empiéter dans notre jardin secret, notre peine. Je lui en étais extrêmement
reconnaissant, en plus que je savais qu'elle brûlait d'envie de nous guérir. Si
seulement guérir était le bon mot. La disparition de Sacha l'avait sûrement
chamboulée et elle s'était donné enfin le droit d'agir. Le hic, c'est que je
n'en voulais pas de son aide. On avait déjà essayé de me consoler, de raccommoder
la déchirure que m'avait laissé cette soirée et rien n'avait fonctionné.
Le
hurlement du téléphone me tira une seconde fois de mes pensées.
-
Oui? répondis-je d'un ton irrité.
-
Bonjour, puis-je parler à… Madame Gagnon, s'il vous plaît?
-
Elle n'est pas là présentement, c'est à quel sujet?
-
Je suis le directeur de l'école de Sacha. Y aurait-il un autre numéro avec
lequel je pourrais la joindre?
-
Il va bien? Je suis son frère…
-
Il s'est battu, il faudrait que quelqu'un vienne le chercher.
Rendu
à l'école de Sacha, on m'escorta jusqu'au bureau du directeur où j'entendis mon
petit frère sangloter. Il se réfugia dans mes bras en répétant sans cesse que
ce n'était pas de sa faute. Je flattai son dos pour le consoler tout en
écoutant ce que l'homme avait à me dire.
-
Sacha et son camarade de classe, Xavier, se sont battus dans la cours d'école.
De tels agissements sont inacceptables dans mon établissement.
-
Vous punissez les deux? Qui a commencé la bataille?
Mon
petit frère interrompit notre conversation en clamant que Xavier n'arrêtait pas
de cracher sur Léo et que c'était la seule façon de faire pour qu'il arrête.
-
Attendez, m'enquis-je, vous étiez au courant pour ça?
-
Oui, mais…
Je
coupai court à ses explications.
- Et
vous voulez punir Sacha? Parce qu'il a défendu un autre que vous n’étiez même
pas capable de protéger contre un harceleur? C'est de l'intimidation, ça, mon
cher monsieur!
J'étais
hors de moi. Mon frère avait toujours eu un grand cœur et il n'hésitait pas à
faire passer le bien des autres avant le sien. Qu'on le punisse pour ça me
dégoûtait.
- Écoutez-moi
bien, poursuivis-je, Sacha ne sera pas en suspension, c'est moi qui le ramène à
la maison.
J'avais
visiblement dérangé l'homme, mais tel un juge, il enchaîna avec une proposition
qu'on ne pouvait refuser.
- Je
comprends ce que vous me dites. Je vais faire mon enquête sur le comportement
de Xavier et je lui donnerai la bonne
sanction. Étant donné que Sacha n'a jamais montré de comportements agressifs
auparavant, je consens à le laisser partir sans réprimande. En échange, je
demanderai qu'il rédige une lettre d'excuse à Xavier.
Je
sentis Sacha hocher discrètement la tête contre mon flanc. Je remerciai le
directeur pour son indulgence et Sacha et moi partîmes vers la maison.
Sur
le chemin du retour, Sacha m'expliqua que ce n'était pas la première fois qu'il
voyait le petit Léo se faire persécuter par son intimidateur. Je sentais la
passion dans sa voix. Cette même passion qu'a un avocat à défendre son client.
Sacha voulait que tout le monde soit heureux. Mais ce qu'il désirait plus que
tout, c'est que justice soit rendue. Je profitai de ce moment de confidence
pour lui demander pour la centième fois où il avait été pendant les deux jours de
sa disparition. Sans perdre la flamme passionnelle qui brillait dans ses yeux,
il me révéla que c'était pour la punir, Elle. Parce qu'Elle m'avait fait du
mal.
C'était
la première fois qu'il livrait une information sur son inquiétante absence et
c'en était déjà une de trop.
***
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