Column|Laurent Crépeau
Le procès de Guy Turcotte n’a
cessé d’inspirer une clameur virulente depuis cinq ans de part et d’autre de la
société. Évidemment, on ne peut nier le rôle des médias de masse dans cette
affaire. Après mille et une itérations dans la presse et sur les écrans, les
faits étaient bien connus. La foule avait promptement identifié le coupable et ses
victimes. L’échiquier manichéen était en place et la foule se parait à châtier.
Aujourd’hui, cette machination semble tirer à sa fin.
Ce que cinq ans de
procédures judiciaires nous ont clairement exposé, c’est cette propension de la
foule à châtier; à prescrire une expiation atroce, inflexible et perpétuelle à
ceux qu’elle identifie au mal archétype. Des détracteurs parmi la foule
dénoncent l’insuffisance et la vulgarité du système de justice. On insinue que
les institutions actuelles, par leur conduite de la cause et leurs disparités
de l’opinion populaire, révèlent leur inaptitude et leur illégitimité. Or,
alors que la foule demande rétribution, le droit impose l’impartialité aux
magistrats devant la clameur.
Indéniablement, le public
est resté omniprésent durant cette affaire. Cela n’a rien d’impressionnant
lorsque l’on considère l’acte commis et le degré auquel il a été propagé à
travers les médias. Les différents chapitres du procès ne pouvaient qu’éveiller
les passions. Ils ont inspiré des révulsions et des abhorrassions de toutes
parts. « 10 ans, c’est bien trop peu! », nous dit-on aujourd’hui. « Cet homme
monstrueux doit payer pour ses crimes! ». Dans un papier publié récemment au
Journal de Montréal, Isabelle Maréchal nous affirme que la ligne directrice de
la sentence qui sera rendue à la mi-janvier devrait être « zéro tolérance ». Des
actes si ignominieux ne peuvent qu’être sanctionnés afin de redonner au système
de justice ses lettres de noblesse. Après tout, celui-ci n’a su qu’ébranler la
confiance du public depuis le début de cette affaire.
Dans ce discours délétère
réside le danger de la foule. Plutôt que des arguments, on y trouve de la rage
et plutôt que de la réflexion, on y trouve de l’exaltation zélée. Ces
épanchements violents constituent, tout d’abord, un abîme pour le droit, lequel
ne peut se fonder sur des subjectivités éclectiques. De la même manière, ils se
voient devenir une perdition à autrui et à l’ordre social par l’ablation de la
rationalité.
Ainsi, la foule est
imprégnée d’une ire inapaisable sauf par le plus cruel châtiment. Bien sûr, il
ne faut point nier l’immondice de cette affaire, or il est utile de voir en
l’observation de ce tumulte populaire, une justification de tout l’édifice du
droit, lequel s’ébauche sur sa qualité d’ordre supra-populaire.
Les sociétés libérales contemporaines
sont fédérées par le principe de suprématie du droit. Par cela, on entend que
le droit n’est sujet à aucun jugement arbitraire. Son autorité supplante les
décisions des citoyens comme des politiques, faisant ainsi que chaque individu
est parfaitement égal à un autre face au droit. Qui ne se conforme pas à la loi
est jugé et sanctionné par la loi. La seule manière de changer les lois est à
travers l’exercice du gouvernement civil né et soutenu par la légitimité du
consentement populaire.
Si l’on reprend l’hypothèse
de l’état de nature – de l’état dépourvu d’un droit uniforme et
institutionnalisé – soulevée par les philosophes politiques modernes, on en
vient rapidement à la conclusion qu’en l’absence d’un conglomérat du droit,
chaque individu se retrouve avec sa propre définition de la justice, ce qui, de
fait, rend nulle la possibilité d’une justice véritable.
Ainsi, le droit se veut un
ordre rationnel et une égide pour les sociétés modernes dont l’existence dépend
de leur stabilité. Il est donc nécessaire que le droit se situe au-dessus des
populations sans quoi il laisse place à l’irrationalité.
Guy Turcotte est déjà condamné
à la prison à perpétuité avec un minimum de 10 ans sans possibilité de
libération conditionnelle. Contrairement à cette pensée fallacieuse qui équivaut
une libération conditionnelle à la réduction d’une peine, voire même son
absolution, ce procédé est tout autre. Non seulement, l’accès à cette procédure
de réinsertion ne garantit pas une sortie de prison immédiate conditionnée à un
gage de bon comportement, elle ne signifie pas non plus qu’un détenu redevient
citoyen libre. Désormais, Guy Turcotte ne vivra plus jamais normalement. Après
avoir purgé une part de sa peine en prison – qu’elle soit de dix ou de vingt-cinq
ans – il réintègrera la société pour en purger le reste et entre temps restera
sous l’hégémonie inexorable du système de justice. Il n’aura plus jamais la liberté
dont bénéficie un citoyen libre. Sitôt sorti du pénitencier, il demeurera dans
la prison des lois. La seule absolution à laquelle il aura droit sera à sa
mort.
Une méconnaissance du droit mène à une interprétation
fautive des actions commises par le système de justice. La Loi sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition
indique que « la mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien
d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions
appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la
réadaptation sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois »
et que « dans tous les cas, la protection de la société est le critère
prépondérant » pris en compte lors de l’examen d’une demande de libération
conditionnelle.
Le but du droit n’est jamais d’être un bourreau.
Plutôt, ses racines philosophiques nous indiquent que son objectif est de
protéger le citoyen; ses droits et ses biens. Ce facteur sera donc hautement
considéré parmi d’autres dans la sentence qui sera rendue le 15 janvier.
Ultimement, que la période avant d’être admissible à une libération
conditionnelle soit dix ou vingt-cinq ans n’est pas l’enjeu primordial. Ce qui
est capital est que les différents organes du système judiciaire agissent
conformément à la loi et que Guy Turcotte soit traité comme n’importe quel
individu reconnu coupable de meurtre au second degré.
***Le 6 janvier 2016, Guy Turcotte a demandé que son jugement soit revu en cour d'appel afin de déterminer si des directives du juge André Vincent auraient influencé le jury dans ses décisions. Ultimement, cela pourrait mener à un troisième procès pour l'ex-cardiologue.
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