Saturday, February 18, 2017

Texture (Partie 5)

Chronique  |  Maggie Léonard

J'avais besoin de temps pour replacer mes esprits. La tête vers le plafond, les pieds sur mon oreiller, je repensais aux événements des derniers jours. Mon petit frère disparu durant deux longues journées sans qu'on ne s'y en attende. Son retour inespéré. L'entretien avec le directeur de l'école de Sacha et sa suspension temporaire. Et, le plus dur, la maudite rencontre avec mon psy. Marlène avait pensé que ce serait une bonne idée que je le voie, pour parler de tout ça. Finalement, il n'avait fait que gratter cette blessure au sang coagulé, certes, mais certainement pas cicatrisée. Je m'étais moi-même étonné de m'être ainsi livré. C'était la première et sûrement la dernière fois. Je me doutais que la disparition de Sacha y avait été pour quelque chose. Trop d'émotions. Pourtant, à y repenser ainsi, ça m'avait fait du bien de fendiller ma carapace de protection et de laisser mon corps nu et meurtri voir la lumière du soleil. À se demander si cette épreuve n'avait finalement pas été salutaire…

Depuis un moment déjà, l'envie de sentir mon vieux journal entre mes mains me démangeait. Je me levai d'un coup et me dirigeai vers mon garde-robe. À tâtons, je cherchai ma boîte à souvenirs. Finalement, le carton bosselé frôla mes doigts. Je l’ouvris et… vide. Pas vide de billets d'avion, de vieux jouets et de photos, mais vide de carnet. Il n'était plus là. Je flairai une onde de panique qui se rapprochait, mais mon côté rationnel prit le dessus et empêcha le cataclysme. Je devais l'avoir égaré, c'est tout. Pour me changer les idées, je décidai d'aller prendre un peu l'air.

Je ne connaissais pas toutes les rues de mon quartier par cœur, mais comme je m'obstinais à ne pas utiliser ma canne et à y aller à l'aveuglette, je pris le chemin que je discernais le mieux. Tout droit jusqu'à l'intersection – là où la circulation se faisait plus dense et le bruit des voitures, plus assourdissant –, à gauche, puis encore à gauche rendu au dépanneur – parfaitement distinguable de par son odeur poignante de fonds de bouteilles de bière et de vidanges réchauffés au soleil –, prendre ensuite la première rue à gauche pour revenir à la maison. Un trajet angulaire d'une dizaine de minutes, en apparence ennuyant, mais c'est fou comme certaines choses deviennent plus excitantes et exigeantes en noir. J'enfilai mes souliers et sortis de la maison sans barrer la porte derrière moi.

Tout allait bien à date; aucun obstacle ne m'avait fait de jambette. Je commençais à flairer les boîtes de carton humides et à entendre le gligling de la porte du dépanneur, lorsque soudainement, bam ! L'impact avait été assez violent pour engourdir mon épaule. La fille se mit à grommeler, puis s'arrêta net.

- Emmett ? s'enquit-elle.

Je ne lui avais pas connu l'odeur de friture dans les cheveux, cheveux qui s'agençaient bien avec sa peau grasse. Ni la voix aiguë et rocailleuse à la fois, mélange peu intéressant. Ni l'haleine de cigarette froide difficilement cachée par de la gomme bon marché. Dans mes souvenirs, elle avait de magnifiques cheveux dorés et un décolleté à vous donner des torticolis. Ses yeux étaient d'un bleu clair et ses lèvres toujours beurrées d'un brillant à lèvres rosé. Elle avait une taille de guêpe qu'elle ne prenait pas la peine de dissimuler entièrement, pour le style ou pour la gente masculine, qui l'aurait su? Des jambes immensément longues d'un certain angle, mais d'un autre assez courtes pour qu'elle soit obligée de se mettre sur la pointe des pieds pour vous embrasser, ponctuaient le tout. Le rêve, quoi. Cependant, son parfum ne l'avait pas trahie, quoiqu'un peu plus envahissant, il était certain qu'il lui appartenait.

- Alexia ?

- Woaw ! Ça fait longtemps ! Je suis contente de te croiser, on a jamais pu se reparler depuis et je voulais vraiment m'excuser.

Sale garce, elle m’écœurait. Comme quoi ma cécité avait mis en relief tous ses insupportables défauts. En plus, elle voulait s'excuser. Quelle audace. J'espère qu'on s'est pas reparlé depuis, bâtard ! Depuis... depuis... depuis ce mardi-là ! Arrrgh !

Eh bien, même si j'avais tout essayé pour oublier cette journée, ça revenait d'un coup maintenant.

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